Des citations à tort et à travers

  • octobre 5, 2017
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  • Sarah Haïlé-Fida

Les citations, vous en lisez tous les jours, partout sur les réseaux. C’est un mode de communication prôné en particulier pour engager son audience. C’est joli – on y travaille avec une photo qui attire l’œil – ça se diffuse facilement et même de façon virale.

Alors inoffensives les citations? Comme ce chaton – lui aussi star des réseaux?

chaton

Sur le sens du travail

Prenons cette citation attribuée à Confucius?

«Choisis un métier que tu aimes, et tu n’auras plus à travailler un seul jour de ta vie.»

Mettons-la en forme, parce qu’elle en vaut la peine.

It doesn't take much

Elle est régulièrement utilisée lorsque l’on parle de reconversion professionnelle – avec toutes les citations qui tournent autour de l’idée de passion.

Quel est le problème? Le problème, c’est de prétendre qu’il est possible d’atteindre un état de bien-être au travail tel, que le travail lui-même n’en est plus un. Autrement dit, le travail est une activité humaine qu’il convient de fuir ou de dépasser pour arriver au plaisir. Et en effet, une des étymologies du mot travail renvoie à la douleur (le travail de l’accouchement) ou à la souffrance de la torture (le tripalium).

Mais le travail, c’est aussi un lieu de construction identitaire – qui je suis pour moi et pour les autres – un lieu de construction sociale – être dans un groupe, interagir et construire du soutien social – de reconnaissance – de mes compétences, de mes qualités et de l’importance de ce que je produis…

C’est aussi un lieu de frictions – c’est ce qui en fait une activité pleinement humaine, s’il n’y a pas de problème à résoudre (et donc de compétences à mobiliser), il n’y a pas de travail et l’activité peut être faite par une machine… Il faudrait donc dépasser tout cela?

Alors oui, on peut aussi parler de mission et de vocation et dire que lorsque l’on a trouvé sa mission dans l’existence on a atteint un niveau d’accomplissement supérieur mais, d’une part, cela impose une pression irréaliste, en particulier quand on cherche sa voie professionnelle et d’autre part cela sous-entend que certains métiers seront toujours un travail (au sens douloureux du terme) en oubliant au passage la satisfaction que procure le travail bien fait, quel que soit ce travail.

En oubliant aussi le principe de réalité qui est que le métier de ses rêves n’est pas toujours accessible. Une citation bien embarrassante donc qui formule une injonction qui si l’on cherche à la respecter à toutes les chances de produire de la frustration.

Pendant que j’écrivais cet article, je suis évidemment tombée sur une citation sur Facebook, attribuée à Albert Schweitzer et légendée par la personne l’ayant postée avec “soyez heureuses”…

“Le succès n’est pas la clé du bonheur. Le bonheur est la clé du succès. Si vous aimez ce que vous faites, vous réussirez.”

It doesn't take much (2)

Là, on est clairement dans l’injonction absurde où l’on décrète le bonheur! Et puis si vous échouez, c’est que vous n’êtes pas assez heureux?

Travail versus sport

Le pire des citations utilisées dans le contexte du travail et en particulier de la reconversion professionnelle sont celles qui viennent du monde du sport.
Prenez cette citations attribuée à Messi:

“You have to fight to reach your dream. You have to sacrifice and work hard for it.”

It doesn't take much (1)

Combien de fois j’ai entendu des clients me dire “mon rêve, ça serait…”, et que dire de la notion de sacrifice et de travailler dur pour y arriver? Parce que si on décortique un peu, ça donne l’idée qu’il faut avoir un rêve… pourquoi pas un plan, plutôt? et même un plan d’actions avec des objectifs? il faut faire des sacrifices: sa famille? et travailler dur: jusqu’au burnout?

Bien sûr, c’est pousser un peu loin, mais le problème justement des citations, c’est qu’on les utilise pour tout et n’importe quoi, comme un couteau suisse: il y aura bien quelque chose à en tirer… Si vous avez l’impression de ne pas “y arriver”, il vous suffit de faire des choix et de travailler dur. Mais arriver à quoi? À garder son poste pendant un plan social, à obtenir une promotion, votre rêve, c’est quoi au fond?

Travail versus créativité

Prenons maintenant cette citation attribuée à Einstein qui ne parle pas directement de travail mais plutôt de créativité. Celle-là je l’aime particulièrement parce qu’elle me sert d’excuse pour ne pas ranger mon bureau.

“Si un bureau en désordre dénote un esprit brouillon, que dire d’un bureau vide ?”

Elle se retrouve sous bien des formes… Ajoutons-y aussi une photo parce que c’est plus joli et après tout on y parle de créativité.

It doesn't take much (3)

Vous voyez la beauté du raisonnement? Cette citation a de la valeur, elle est attribuée à Einstein... qui a eu le temps de produire plein de citations pendant qu’il travaillait sur la relativité.
La relativité, justement, parlons-en: est-ce que le bazar sur mon bureau reflète mon esprit qui vagabonde ou simplement le fait que je n’aime pas ranger? Est-ce qu’un bureau rangé reflète un esprit stérile ou plutôt le comportement d’une personne qui n’aime pas perdre son temps à chercher ce dont elle a besoin.
C’est relatif, non? Relatif à quoi? A celui qui regarde et qui se situe plutôt d’un côté ou de l’autre… ou qui est la personne chargée de faire le ménage. Alors oui, cette citation, elle rassure, on se dit que l’on est créatif mais surtout elle simplifie, elle justifie.

Personne ne nous oblige à y croire, me direz-vous? Et vous aurez raison. Mais l’idée ici est de montrer que l’usage massif des citations est le reflet d’une certaine paresse – de la volonté, assumée ou pas, de penser comme on grignote: un peu à la fois.

En recherchant dans ce que j’écris, vous trouverez peut-être des citations et vous direz que je ne suis pas très cohérente… L’idée pour moi n’est pas de bannir toutes les citations mais plutôt de savoir s’en méfier quand cela est nécessaire.
Pour finir, donc, une citation:

“If I had some sense of how much time I have left, it’d be easier”* Paul Kalanithi

Alors oui, elle encourage à penser au fait que notre vie n’est pas infinie et certains ajouteront qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier… Mais en l’occurrence, l’auteur, Paul Kalanithi, l’a écrite en se sachant condamné par un cancer, à l’âge de 36 ans. Oui, dans ces circonstances particulières, la question du temps qu’il reste est fondamentale: combien de temps avec ma famille, combien de temps à opérer des patients (il était chirurgien), combien de temps pour écrire mes mémoires…

Une citation sans contexte n’est donc souvent qu’une injonction.

*When Breath becomes Air, Paul Kalanithi.


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Sarah Haïlé-Fida

Conseil en analyse des risques psycho-sociaux, gestion des âges et formation.

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