La curiosité est un joli défaut

[temps de lecture: 5 minutes]

“La curiosité dynamise l’esprit humain”
Gaston Bachelard

Lorsque de nouveaux clients me contactent pour un accompagnement à la reconversion professionnelle, ils expriment essentiellement deux types d’attentes :

  1. Existe-t-il un test qui leur dira pour quoi ils sont faits
  2. Ils voudraient trouver leur passion, l’activité qu’ils seront heureux d’accomplir le reste de leur vie

Je commence donc par les décevoir… en leur expliquant qu’il n’existe pas de reconversion réussie sans (un peu de) travail personnel : appelez cela de l’introspection, de la réflexivité.

Il n’est pas possible de changer sans comprendre pourquoi on cherche le changement et sans faire l’inventaire de ses ressources.

Et en leur disant tout le mal que je pense de la passion – Et je leur parle de curiosité.

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Pour en finir avec la passion

La passion est un thème récurrent de la littérature managériale ou du développement personnel. L’origine étymologique du mot passion devrait pourtant en elle-même faire réfléchir : “souffrance, fait de subir”… Mais la passion a peu à peu été associée à l’idée de création, à l’idée d’une œuvre à créer qui libère des contraintes du travail et permet la réalisation de soi.

La passion est devenue une injonction – la condition du bonheur,
du plaisir au travail.

Pourquoi ne pas se focaliser sur la passion?

Très peu de personnes peuvent dire qu’elles vivent (de) leur passion. Et puis, c’est sans doute a posteriori que l’on peut dire que l’on vit (a vécu) de sa passion. Au moment où l’on travaille, il manque souvent le recul nécessaire.

Ne pas avoir de plaisir dans une situation de travail donnée, ne veut pas dire que l’on n’est pas heureux de faire son métier. Autrement dit, on peut être passionné par son métier – penser aux enseignants – et malheureux des conditions dans lesquelles on l’exerce.

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L’idée de passion est tellement imposante qu’elle conduit souvent les personnes en reconversion au FOBO (fear of better options) : la recherche sans fin de ce qui sera vraiment une/leur passion. Cette peur est sans aucun doute alimentée par les faux idéaux véhiculés par les réseaux sociaux : comme #ilovemyjob, par exemple.

la curiosité permet d'être prêt.e à essayer (2)Parce que la passion ne s’envisage que comme évidente et dans la durée – en tout cas celle de la vie professionnelle – elle empêche de se rendre compte que les parcours professionnels ont changé. Les carrières autrefois atypiques sont aujourd’hui sinon la norme, du moins fréquentes. Les évolutions des métiers et des entreprises font que nous sommes tous dans une certaine mesure amenés à changer, à évoluer. Alors peut-on encore parler de passion ? En tout cas dans la vie professionnelle ?

Dans la situation précise d’une reconversion professionnelle, ce “but ultime” – trouver sa passion – empêche souvent de prendre des décisions, de faire des choix. “Est-ce que je dois me former à ce métier, si je dois en avoir assez dans 5 ans?”, “Est-ce que je dois accepter de prendre ce rôle, si dans quelques mois un rôle plus intéressant se présente?” Indécision et immobilisme, peur du changement finissent par entraver la reconversion.

Pour aller plus loin : c’est ici.

L’idée de passion sous-entend également que l’on se trouve dans un état de « flow » où tout devient sinon facile, du moins agréable et que de cet état découlera le succès. Mais peut-être que le succès nourrit la passion alors que la passion ne nourrit pas nécessairement le succès?

Vous l’aurez compris, je me méfie du mot et du concept :

rechercher sa passion ne doit/peut pas être un objectif
de reconversion professionnelle.

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Soyez curieux !

En voilà une nouvelle injonction ! Ce n’est donc pas sous cette forme qu’il convient de l’exprimer. La curiosité est un état d’esprit qui permet de sortir plus facilement de sa zone de confort, d’explorer, de se voir (et se comporter) en autodidacte, autrement dit, d’être prêt à essayer.

Être curieux des autres autorise à faire des rencontres sans a priori, être curieux d’autres activités ou de loisirs, permet d’être créatif, de chercher des opportunités là où d’autres ne verraient que des contraintes.

la curiosité permet d'être prêt.e à essayer

Dans l’entreprise, ça peut être s’intéresser au fonctionnement ou aux contraintes d’autres services et découvrir que l’on est intéressé par ce qu’ils font.

Dans la vie, ça peut être essayer de nouveaux loisirs et découvrir que l’on s’amuse en apprenant la photo ou comment faire son pain.

Pendant une reconversion, c’est mener son enquête professionnelle et rencontrer des personnes d’horizons divers, dans des contextes de travail différents.

C’est cette curiosité qui dans le cheminement de la reconversion vous conduira vers une activité qui ne sera peut-être pas celle que vous aurez jusqu’à la fin de votre vie professionnelle (surtout si comme beaucoup de mes clients vous avez entre 30 et 35 ans!) mais qui satisfera… votre curiosité, justement, et vous permettra d’éprouver du plaisir au travail.

Avoir plusieurs vies professionnelles est en train de devenir la « norme ».

Et si c’était une perte de temps ?

C’est une question fréquente lorsque l’on aborde le sujet de la carrière : si cette activité, ce métier n’est pas ma passion, est-ce que je ne suis pas en train de perdre mon temps ? (Je vous renvoie au début de ce post et au FOBO).

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Il est à mon avis difficile de considérer comme une perte de temps le fait d’apprendre et d’acquérir de nouvelles compétences. Au-delà, s’adapter à de nouvelles circonstances, c’est cultiver une forme d’agilité (un mot à la mode) qui est certainement recherchée par les entreprises – c’est en tout cas ce qui transparaît dans un grand nombre d’offres d’emploi.

Sans rentrer dans le détail des différences entre “growth” et “fixed mindset” (pour en savoir plus : c’est ici), il semble qu’avoir un état d’esprit qui favorise les apprentissages et l’acquisition de compétences est l’une des ressources fondamentales pour envisager une reconversion professionnelle.

Ce qui ne veut pas dire qu’il est impossible de changer si l’on pense que tout est joué d’avance – la démarche sera un peu différente: il faudra dans un premier temps faire tomber ces barrières!

Alors recherche de sa passion versus développer sa curiosité: vous l’aurez compris, il ne s’agit pas d’opposition mais de complémentarité. Ni l’une ni l’autre n’est un objectif en soi mais être curieux peut conduire à découvrir ce qui vous passionne… en tout cas pour le temps présent.


Vous envisagez une reconversion professionnelle? Contactez-moi pour en discuter autour d’un café (le premier rendez-vous est toujours gratuit).

Contact

Sarah Haïlé-Fida

Conseil en analyse des risques psycho-sociaux, gestion des âges et formation.

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