L’injonction à la créativité a envahit les entreprises à peu près en même temps que la logique de la compétence, dans les années 1990. Cet appel à la créativité a également investit le champ de la recherche d’emploi avec un grand nombre d’articles et de conseils sur le CV créatif et original qui attirera l’œil du recruteur. La créativité est conçue comme un équivalent de l’originalité: il s’agit bien, dans l’entreprise comme pour y entrer, de se démarquer, de sortir du lot. Et depuis quelque temps, la créativité envahit la sphère privée avec le développement sans précédent des loisirs créatifs.
Qui peut donner une définition de la créativité ?
Dans un article sur la structure de la cognition créative dans le cerveau humain, des chercheurs de l’université d’Albuquerque proposent de considérer la créativité comme un vaste champ allant des productions artistiques des peintres, musiciens et autres écrivains à l’activité des développeurs informatiques ou des ingénieurs dans le nucléaire et la liste n’est pas exhaustive.
Ils soulignent en passant qu’il existe un continuum entre les génies créateurs (artistes, chercheurs reconnus, par exemple) et la vaste majorité des créateurs au quotidien (toute personne qui par exemple résout un problème informatique). Et si ce sont bien ceux-là que l’on sollicite dans les entreprises, on serait bien en peine d’en donner sinon une définition, du moins une description: qu’est-ce qu’être créatif ?
Le neuro-sciences sont en train de démontrer que la simple explication cerveau droit/cerveau gauche ne suffit pas à expliquer les différences de comportements entre des personnes dites créatives et les autres. Beaucoup d’autres phénomènes cognitifs seraient ainsi impliquer dans la créativité, phénomènes que les chercheurs tentent de visualiser par un certain nombre de techniques d’imagerie. Ils ressort de ces expériences que plusieurs zones du cerveau fonctionnent en interactions dynamiques, en réseaux et en circuits et non en l’opposition du bloc droit et du bloc gauche.
Qu’est-ce que cela nous apporte lorsque l’on parle de créativité ? La compréhension d’un phénomène complexe qui ne se réduit pas à un entraînement ou une connaissance de sa “préférence” pour l’un ou l’autre côté de son cerveau.
Simplifier (et réduire): Comment faire pour être créatif…
Des modes d’emploi ou plus précisément de comportements sont parfois proposer pour “éveiller le créatif qui sommeil en nous”.
Dans cet article de Psychologies.com, la recette nous est donnée:
“Elle [la créativité] requiert, non pas de l’intelligence, mais de la curiosité, de l’empathie, de l’estime de soi, de l’adaptabilité, l’ouverture à ses émotions… De nombreux thérapeutes nous enseignent comment la stimuler et attirent aussi notre attention sur ce qui peut la bloquer.”
Dans cet article, l’auteur nous livre sa routine du matin et du soir pour une vie plus créative: A 10 minute routine qui implique aussi une douche froide.
Être créatif rend heureux…
Il semble qu’aujourd’hui la créativité (sans qu’encore une fois elle ait été soigneusement définie) investisse tous les champs de la vie quotidienne: l’activité professionnelle comme celle des loisirs avec un développement sans précédent du DIY (“Do It Yourself” À faire soi-même).
Ces pratiques sont par ailleurs rattachées à la recherche du bonheur tant dans l’entreprise: travailler en donnant du sens à ce que l’on fait, que dans la sphère privée puisque créer nous rendrait heureux (sentiment d’accomplissement).
Mais que pensez de la créativité dans l’entreprise quand elle devient une injonction – par ailleurs souvent contredite par des procédures et des normes ?
Et que pensez de la créativité du DIY quand elle est devenue un marché et qu’il suffit finalement d’acheter des matériels pré-conditionnés de manière à nous permettre d’exprimer notre créativité. L’exemple le plus notable étant le scrap booking pour lequel il est possible d’acheter des “chutes” (scrap) de papier pour décorer ses cahiers, albums et autres carnets…
Et s’il est devenu souhaitable d’être créatif au travail, que penser de ces traits considérés comme communs aux personnalités créatives et de leur acceptation dans l’entreprise:
- Les personnes créatives rêvassent: “Les neuroscientifiques ont aussi découvert que rêvasser implique les mêmes processus cognitifs que ceux associés à l’imagination et la créativité.”
- Elles prennent le temps d’être seules,
- Elles travaillent aux heures qui les arrangent,
- Elles échouent et prennent des risques, entre autres…
Le paradigme de la créativité pour tous et tout le temps semble en réalité fonctionner avec le développement de notion comme celle du bonheur au travail mais d’un bonheur conçu comme étant de la responsabilité individuelle de chacun. Entérinant en quelque sorte la dissolution définitive des collectifs de travail et sous-estimant le rôle du soutien social.
Faire soi-même, créer, c’est aussi exprimer son individualité et en ce sens se différencier du groupe – de travail, familial… Rien de mal à ça, au contraire, mais essayons de mettre cette tendance (surtout lorsqu’elle est “convoquée” par l’entreprise) en perspective avec l’individualisation de la relation de travail et d’emploi et le développement de l’évaluation individuelle: comment évaluer la créativité d’un encadrant de proximité par exemple?
Finalement, le message sous-jacent au discours sur la créativité est “soyez créatifs et vous serez performants”, ce qui ressemble fort à un oxymore, en tout cas dans la plupart des organisations car être créatif consiste souvent à prendre des chemins de traverse.
“One of the enemies of creativity and innovation, especially in relation to our own development, is common sense.”
― Ken Robinson, The Element: How Finding Your Passion Changes Everything
0 commentaire Laisser un commentaire